Marvel Stars 17 : Hulk, « L’Île du Docteur Moreau » et Prométhée

Publié le par megaglob

prv10426_pg6.jpgLe « Marvel Stars » de juin propose trois épisodes des « Secret Avengers », et la suite de la nouvelle série « The Incredible Hulk », scénarisée par Jason Aaron. Dès le mois dernier, dans notre compte rendu du premier chapitre, nous avions signalé la parenté évidente entre ce récit et « L’Île du Docteur Moreau », l’une des œuvres les plus célèbres d’Herbert George Wells, l’auteur de « L’Homme invisible » et de « La Guerre des mondes ». Les deux épisodes publiés ce mois-ci s’inscrivent tout particulièrement dans cet héritage, puisque le lecteur y découvre un Bruce Banner tel qu’il ne l’avait jamais vu, qui incarne le stéréoptype du savant fou.

 

Si ce type d’emploi n’est pas rare dans l’univers des comics, il est en général cantonné aux rôles de super-vilains, et toute l’originalité d’Aaron est d’avoir appliqué ce stéréotype à un personnage qui, traditionnellement, fait partie des « gentils », dans l’univers marvélien. On retrouve ainsi tous les traits caractéristiques de ce genre de personnage : la folie, que traduisent son regard égaré et sa nette propension au soliloque ; la solitude, Banner vivant reclus dans un grand laboratoire vétuste, caché au fond d’une jungle sauvage, sur une île perdue, en compagnie de servants aux allures pittoresques ; et, enfin, la condamnation unanime qu’il reçoit de la part de ses semblables pour l’entreprise dans laquelle il s’est lancé – en l’occurrence, redevenir un Hulk quand il le souhaite.

 

prv10426_pg5.jpgPour parvenir à ses fins, il pratique sur la faune des expériences à base de rayonnements gama, qui modifient le patrimoine génétique des espèces sauvages vivant sur l’île, et qui se révèlent toutes être des échecs. Banner se retrouve ainsi à la tête d’une cohorte de monstres, dont il est le créateur, et qui l’admirent tous, comme ils le feraient pour un dieu.

 

Et c’est par cet aspect que l’on rejoint l’œuvre de Wells, « L’Île du Docteur Moreau ». « The Island of Dr Moreau » a été publié en 1896, alors que l’auteur vient d’avoir trente ans. Le roman commence comme « Robinson Crusoë » de Daniel Defoe ou « L’Île mystérieuse » de Jules Verne : Edward Prendick, seul survivant d’un naufrage, échoue sur une île inconnue. Il est recueilli par deux chirurgiens, qui y vivent en reclus, le Docteur Moreau et son assistant, Montgomery. Peu à peu, Prendick découvre que le savant se livre à des expériences sur les animaux, qu’ils transforment en êtres hybrides, mi-hommes, mi-bêtes, exactement comme les phacochères qui apparaissent dans les deux épisodes de « The Incredible Hulk » de ce mois (voir ci-dessous). Et, à l’instar des animaux transformés par le rayonnement gamma dans la bande dessinée, les créatures de Moreau l’adulent comme un dieu. Le médecin explique à Prendick avoir tenté ces expériences pour mieux comprendre la nature humaine. Malheureusement, les monstres qu’il a créés retournent tous peu à peu à la vie sauvage, se révélant incapables de préserver leur part d’humanité. Ils finiront par tuer Moreau et Montgomery, et Prendick n’aura la vie sauve qu’au terme d’une lutte acharnée pour sa survie.

 

prv10376_pg4.jpgCe roman, même s’il est moins connu que « La Guerre des mondes », est sans doute l’un des plus profonds de Wells. L’auteur, qui était aussi un grand humaniste, y réfléchit à la fois sur les pouvoirs de la science et sur la nature humaine. Sur la question de la science, il se livre à une énième variation autour du célèbre mythe de Prométhée, dont Frankenstein et l’histoire de Hulk en elle-même sont aussi des incarnations populaires : à trop jouer avec les lois de la nature, l’homme risque de provoquer sa perte. Un avertissement qui date aujourd’hui de plus d’un siècle, mais que les menaces quant à l’équilibre climatique de la planète rendent plus que jamais d’actualité.

 

Quant à la question de la nature humaine, Wells délivre un message plutôt désenchanté : le côté bestial de l’homme, finit toujours par l’emporter. Prendick, une fois retourné à la civilisation, ne trouvera d’ailleurs plus jamais le repos, pensant voir en tout être humain l’animal qui dort en lui. Et le pessimisme de Wells n’allait faire que se renforcer avec les deux conflits mondiaux dont il allait être le témoin, avant de s’éteindre, à l’âge de quatre-vingt ans, en 1946. Sans aucune illusion sur ses semblables et le devenir de l’humanité.

 

prv10376_pg3.jpgCes derniers éléments montrent que ce ne sont pas seulement des motifs, comme les hommes-bêtes, l’île perdue, ou le fait d’aduler son créateur, qu’Aaron a emprunté au roman de Wells. En se plaçant explicitement dans sa lignée, il reprend à son compte les conséquences vers lesquelles conduisent inéluctablement, selon lui, toute tentative de percer les secrets de la nature. Comme Prométhée, qui est allé voler le secret du feu aux dieux pour le donner aux hommes, Banner est condamné par ses semblables pour son entreprise. Et, tout comme le docteur Frankenstein, il est voué à être pourchassé par la seule créature qu’il ait jamais créée, Hulk. Plus que des motifs, ce sont donc des stéréotypes narratifs que Aaron a emprunté, en se référant à « L’Île du Docteur Moreau », et, à travers ce roman, au Prométhée moderne qu’incarne le savant fou dans la littérature populaire.

 

Et, à ce titre, « The Incredible Hulk » montre une fois de plus comment un récit qui relève de la culture populaire intègre des éléments structuraux qu’il emprunte à la culture académique, en en retenant quelques-unes des principales lignes de force. Pour notre plus grand plaisir.

 

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Publié dans Analyses

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