La politique commerciale de Marvel

Publié le par megaglob

XXXnickSur les sites et forums français consacrés aux comics, il est fréquent d’invoquer la politique commerciale de Marvel comme un argument pour critiquer telle ou telle série. Cette idée reçue, selon laquelle argent et création ferait mauvais ménage, bien caractéristique de la mentalité française, est cependant regrettable en ceci qu’elle gauchit nécessairement l’appréciation des œuvres, en assimilant de fait la politique éditoriale à une politique commerciale. Ce qui n’a rien d’évident, même si la seconde influe assurément sur la première. Dans cet article, nous commencerons par définir les principales stratégies commerciales de Marvel Comics, puis, dans un second temps, nous chercherons à déterminer dans quelle mesure ces procédés orientent les choix éditoriaux – et dans quelle mesure ceux-ci sont aussi dictés par la créativité et l’innovation artistiques.

 

Pour conserver sa place de leader du comic book (voir l’article « Marvel en tête de ventes en 2011 »), Marvel a opté pour une stratégie dont le principe de base est fort simple : occuper le marché. Pour ce faire, l’éditeur offre un catalogue pléthorique, inondant chaque semaine les comic shops de dizaines de titres, toutes catégories confondues. Ses revues ne se vendent pas forcément en grande quantité, mais comme elles font nombre, cela lui permet de conserver son leader ship. Ainsi, bien que depuis l’automne son concurrent DC accapare presque toutes les places dans les Top 10 voire les Top 20 des charts, Marvel est-il resté malgré tout le premier éditeur de comics, aussi bien en termes de fascicules vendus, qu’en termes de chiffre d’affaires. Si ses titres dépassent rarement un tirage de 50.000 exemplaires, et se cantonnent même, pour la plupart, autour des 10 à 20.000, ils sont si nombreux à atteindre ces volumes, aussi modestes soient-ils, que cela préserve ses résultats.

 

x men quarantineA ceci près, sur le plan comptable, que l’éditeur a bien entendu des frais plus importants, puisqu’il lui faut fabriquer plus de titres que ses autres concurrents. Là où DC va vendre 1000.000 exemplaires d’un seul titre, Marvel vendra par exemple quatre revues à 25.000 exemplaires : il lui faudra donc payer quatre scénaristes, quatre artistes, etc. Sans compter tout le travail éditorial de conception, de coordination et de promotion que cela suppose, ainsi que des frais d’imprimerie plus élevés (il coûte en effet plus cher de tirer quatre revues à 25.000 exemplaires qu’une seule à 100.000). Son résultat d’exploitation, comme l’on dit, s’en trouve ainsi affecté.

 

La multiplication des revues est un phénomène qui n’a fait que s’amplifier au cours de la précédente décennie et qui, depuis la fin de « Dark reign », semble avoir pris encore plus d’ampleur. La première stratégie suivie pour atteindre cet objectif consiste bien entendu à créer de nouveaux titres, qu’ils soient consacrés à un héros (Moon Knight, Spider-Woman, Hawkeye & Mockingbird, Namor The First Mutant, Venom, Scarlet Spider, etc.) ou à un groupe de héros (Atlas Agents, Heroes for Hire, The Secret Avengers, The Defenders, etc.). Mais on assiste aussi de plus en plus souvent à un phénomène nouveau, la multiplication de l’offre éditoriale autour d’un même personnage ou d’un même groupe. Jusqu’ici, ce sont surtout des titres liés à Spider-Man et aux X-Men qui illustraient vraiment cette tendance, mais, désormais, elle affecte par exemple Captain America, qui a trois revues régulières à son nom, ou les Quatre Fantastiques, qui en comptent deux depuis le retour de Johnny Storm. Et même les Avengers, qui ont déjà été renforcés après « Dark Reign » par « Avengers Academy » et « Secret Avengers », vont bientôt avoir une énième revue, « Avengers Assemble ». 

 

Il est à noter que cette multiplication de l’offre s’accompagne en partie d’un éparpillement du lectorat, sauf pour quelques personnages phares, qui ont leurs fans, comme Spider-Man ou Wolverine.

 

topaoût Ultimate Fall OutMais Marvel n’en reste pas là. L’offre éditoriale est encore augmentée par des stratégies complémentaires. La première est l’invention du fameux « point zéro » – que Panini a curieusement repris dans sa promo, alors que cela n’a aucun sens pour l’éditeur français. Rappelons de quoi il s’agit, pour ceux et celles qui ne fréquentent pas la V.O. Les revues Marvel, comme tous les magazines du monde, sont numérotées de 1 à l’infini, par nombre entier. On a ainsi un n°1, n°2, n°3, etc. Or, pour diversifier son offre, l’éditeur a eu l’idée pour le moins curieuse de proposer régulièrement, sur l’ensemble de ses séries, des « X.1 », qui viennent s’insérer entre deux entiers. Ainsi, après le numéro 19 d’ « Uncanny X-Force » a-t-on non pas un n°20, mais un n°19.1, lequel sera suivi ensuite d’un n°20. A quoi sert ce label « point zéro » ? Il est censé signaler des numéros de revues qui offrent un épisode isolé par rapport à l’arc en cours, et qui constituent ainsi des points d’entrée dans la série. L’un des problèmes que rencontrent en effet les éditeurs de comics, compte tenu de la forte continuité narrative qui caractérise les séries – ce qui en fait tout l’intérêt – tient à ce que nombre de lecteurs hésitent à acheter un nouveau titre, car ils ont l’impression de sauter dans un train en marche. Il faut en effet lire plusieurs numéros – donc, patienter plusieurs mois – avant de réellement connaître tous les personnages, comprendre tous les enjeux, saisir toutes les allusions, etc. Le « point zéro » vise ainsi à rassurer en quelque sorte le lecteur, et à l’inciter à découvrir une série qui le tente.

 

Du moins est-ce là le discours officiel. Car on devine bien l’intention commerciale qui est derrière : un fascicule « point zéro » vient en sus de la livraison « régulière » – celle qui a un nombre entier, si vous avez tout suivi. En conséquence, cette astuce permet aussi à Marvel de proposer un numéro supplémentaire dans le même mois et donc, là encore, d’occuper les bacs des comic shops.

 

fear-itself-prologueLa réticence qu’éprouvent les lecteurs à prendre une série en cours est également combattue par un autre procédé, celui du relaunch. On a vu ainsi récemment « Captain America » revenir à un n°1 – en même temps que « Captain America & Bucky » puis « Winter Soldier » étaient lancés sur le marché. De même que « The Incredible Hulk » a repris sa numérotation à 1 lorsque Greg Pak a quitté le titre et que Jason Aron a repris le flambeau – accompagné d’un très symbolique passage du pluriel (« Incredible Hulks ») au singulier.

 

Enfin, last but not least, la dernière stratégie mise en place consiste, ces tout derniers temps, à lancer chaque année un event majeur, qui est à chaque fois annoncé à grands coups de teasers et avec force battage médiatique. Une telle politique est particulièrement habile. Tout d’abord, par définition, l’event donne lieu à une série limitée, qui permettra de gonfler d’autant les ventes. Mais cette série « principale » est accompagnée de tie-in, qui vont venir enrichir encore plus l’offre éditoriale. On l’a bien vu avec « Fear Itself », qui était escorté de « Fear Itself : The Home Front » et de « Fear Itself : The Deep », et qui a été suivi de « Fear Itself : The Fearless » et de « Battle Scars ». Sans compter les séries limitées et one-shots qui vont bien avec.

 

FF572 coverMais ce n’est pas tout : comme vous l’avez sûrement remarqué, les events sont lancés au printemps (je parle du lancement aux Etats-Unis, bien entendu), et il atteint en général son paroxysme au cours de l’été. Ce n’est pas du tout un hasard. Les chiffres de ventes des comcis montrent en effet que les ventes recommencent à monter avec le retour des beaux jours, pour atteindre leurs sommets en juillet et août. Rien de surprenant à cela, puisque c’est, tout comme en France, la période des vacances, laquelle est particulièrement propice à l’achat de presse, la population ayant plus de loisirs, et donc entre autres le temps de lire. Ensuite, dès septembre, les ventes reculent – voire s’effondrent – jusqu’au printemps suivant. Marvel exploite donc au mieux cette fenêtre durant laquelle les comics jouissent d’un regain d’intérêt du public, lançant son event au moment où il a toutes les chances de se vendre le mieux possible. Il en va d’ailleurs de même des nouveaux titres qui sont, en majorité, lancés au printemps ou à la rentrée.

 

Il est donc clair que Marvel a une politique commerciale bien affirmée, dont le principe de base est de conserver sa place de numéro un en inondant le marché. On voit mal comment, au demeurant, il pourrait en être autrement. Mais cela ne signifie pas que notre éditeur préféré n’a pas, parallèlement, de politique éditoriale. C’est ce que nous verrons dans la suite de cette étude, à paraître dans les jours prochains.

 

Articles liés :

- Wolverine, une franchise qui marche bien

- Spider-Man, le super-héros qui valait des millions de dollars

Marvel en tête des ventes en 2011 !

 

Rejoignez la communauté marvelouscomics sur Facebook !

Publié dans Analyses

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
Article très enrichissant, j’ai beaucoup appris. Merci
Répondre
M
<br /> <br /> Merci pour le petit mot <br /> <br /> <br /> <br />