Qu'est-ce qu'une ellipse ?

Publié le par megaglob

Le temps est l’aspect d’un récit le plus difficile à représenter graphiquement. En effet, ce que nous percevons naturellement comme étant l’écoulement du temps est par nature incompatible avec le dessin, qui fixe à jamais ce qui, d’un point de vue temporel, n’est qu’un instant parmi d’autres.

 

ellipse avengers 17

Cette incompatibilité saute aux yeux avec le premier exemple ci-dessus, extrait d’une des toutes premières pages d’« Avengers 17 », de Mike Deodato. Dans la première case, Miss Marvel assène un puissant coup à Ultimo, un robot géant qui est en train de dévaster l’une des usines de Tony Stark. Le temps associé à une telle image devrait a priori coïncider avec la durée extrêmement brève de l’action représentée, soit moins d’une seconde. Or, dans la même image, est rapporté un dialogue entre Carol et Iron Man qui dépasse nécessairement ce laps de temps très court. L’échange entre les deux personnages a débuté avant que le coup ne soit porté, et se prolonge après qu’il l’ait été. Ainsi peut-on dire qu’il y a deux temporalités attachées à cette image : l’une, graphique, de l’ordre du dixième de seconde ; l’autre, narrative, qui s’étend sur plusieurs secondes. Ce hiatus temporel n’est cependant sensible que lorsque l’on y réfléchit : les lecteurs de bandes dessinées – qu’elles soient américaines ou non – ont depuis longtemps intégré cette convention, et savent qu’une image ne reproduit qu’un instant du temps qui lui est associé d’un point de vue narratif.

ellipse avengers 17 

Sur la troisième image du même extrait, on retrouve un plan d’ensemble, après l’insert du premier gros plan sur le visage d’Iron Man. Dans cette case, Miss Marvel est en train de virevolter autour d’Ultimo, lequel a brandi vers elle son poing et fait feu. Le parcours de notre super-héroïne entre ces deux positions, tout comme le repositionnement du robot n’ont donc pas été représentés. Profitant de l’insert, Deodato passe d’un instant du combat à un autre, en faisant l’économie des étapes intermédiaires. C’est ce que l’on appelle une ellipse temporelle : il s’agit de suggérer l’écoulement du temps en représentant deux moments successifs d’une scène quelconque, de telle manière que le lecteur inscrive les deux images qui les représentent dans la durée, dont il va reconstituer les étapes manquantes.

 

ellipse avengers academy 5L’ellipse temporelle est un procédé récurrent en bande dessinée. On en retrouve un exemple au bas de la page ci-contre, extraite du n°5 de la revue « Avengers Academy ». Entre l’image où Hazmat reçoit le bâton dans le ventre, et celle où elle suffoque, entourée de ses partenaires, il s’est écoulé un certain temps, qui est suggéré du fait même que ces deux images sont reliées par un lien logique de causalité. Mais la planche montre aussi comment un dessinateur, ici Jorge Molina, utilise l’ellipse pour ménager des effets de tempo. Entre la première case et la deuxième, le temps ne s’est presque pas écoulé, comme le montre la position du bâton, quasiment identique, à hauteur de l’épaule droite de Steve Rogers. Le super-soldat doit tout simplement à ses super-réflexes de modifier en un centième de seconde sa position pour saisir le projectile lancé contre lui. L’ellipse est donc ici minimale, presque inexistante. Entre la seconde case et la troisième, l’ellipse, même si elle est très brève, est cette fois-ci plus perceptible, dans la mesure où nous voyons le bâton frapper Hazmat de plein fouet, sans que sa trajectoire dans l’espace depuis la main de Steve ait été représentée. Et, comme déjà vu plus haut, l’ellipse est ensuite conséquente entre les deux dernières images. On a donc une ellipse dont la durée va croissante, au fur et à mesure que l’action devient moins rapide, et que le tempo de la scène diminue.

 

ellipse fear itself home front 1Pour terminer, on examinera un troisième et dernier exemple, avec cet extrait de « Lurker », un récit dessiné par Mike Mayhew, et publié dans « Fear Itself : The Home front », du n°1 au n°7. Là encore, il y a une ellipse très nette entre la première case et la deuxième. Dans la première image, Speedball est saisi en « instantané », en train de frapper son adversaire au visage avec ses deux pieds, tandis qu’à l’image suivante il est en train de la menotter. Il s’écoule donc là aussi un certain temps entre les deux vignettes, et ce, bien que les personnages poursuivent leur dialogue de l’une à l’autre sans s’être apparemment interrompus. Mais, dans la première case, Mayhew recourt à un autre procédé de représentation du temps, qui est beaucoup moins utilisé que l’ellipse ou celui mis en œuvre ci-dessus par Jorge Molina : il s’agit d’inscrire dans une même image le même personnage dans deux postures distinctes (ou éventuellement plus de deux), afin de rendre compte de la célérité avec laquelle il accomplit l’action. Cette fois-ci, le temps est réellement donné à voir sous une forme graphique. Mais c’est l’un des très rares cas, et l’une des seules techniques, qui permettent de dessiner le temps.

 

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Publié dans Analyses

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