Sexe et violence dans les comics : Quand Marvel s’autocensure…

Publié le par megaglob

emma frost 2 artLes comics Marvel, comme tous les éditeurs qui s’adressent en partie à la jeunesse, se doivent d’adopter et de suivre des règles précises en matière de protection des mineurs. Cela l’a conduit à adopter une classification pour ses propres revues, dont la plus connue est la catégorie « MAX », qui donne son nom à la célèbre collection « pour adultes », créée en 2001. Mais pour bien comprendre les contraintes que Marvel imposent à ses auteurs, il faut aussi chercher à comprendre comment elles sont apparues.

 

Au début des années 1950, les comics, qui avaient triomphé à la toute fin des années 30 et aux débuts des années 40, pâtissent d’un profond désintérêt du public. Pour tenter de ramener les lecteurs vers eux, les éditeurs multiplient alors toutes sortes de tentatives plus ou moins désespérées, multipliant aussi bien les romances à l’eau de rose, que les westerns, ou encore les comics horrifiques, où de méchants vampires s’en prennent à de jolies jeunes filles dénudées, et leur font subir toutes sortes de sévices… Ces titres, pour la plupart très médiocres, ne sont pas passés à la postérité, et Marvel se montre toujours très discret sur cette période. Quand on lit l’historie officielle, il y a eu la Torche Humaine, Namor, Captain America, dans les années quarante, puis les Quatre Fantastiques, Iron Man, Spider-Man et tous les autres… dans les années 60. Les cow-boys, loup-garous, chevaliers et jeunes femmes enamourées des années 50 sont bel et bien oubliés.

 

uncx509 cov colPourtant, ce sont ces comics sans grande qualité qui suscitèrent, dans les années 50, une vive émotion auprès de l’Amérique bien pensante, de nombreuses ligues et associations s’émouvant de ce que des enfants puissent lire des récits où le sang coulait à flots, et où les corps étaient déchiquetés. Pour répondre à ces critiques de plus en plus acerbes, les éditeurs créèrent en 1954 la Comics Magazine Association of America (CMAA), et nommèrent à sa tête le juge Charles F. Murphy, spécialisé dans la délinquance juvénile. Celui-ci édicta peu après le Comics Code Authority (CCA), un texte censé mettre bon ordre aux errements des auteurs.

 

Comme on pouvait s’y attendre, le CCA interdisit toute description graphique de scènes de violence, et toute insinuation sexuelle dans les images où apparaissait une « good girl », l’incarnation même de la pin up en bande dessinée, et dont Red Sonja et quelques autres sont les archétypes. De même, il n’était plus admissible de dessiner des vampires, des loups garous ou encore des goules, lesquels pouvaient terroriser les enfants. Et encore moins envisageable d’aborder la question des déviations sexuelles, ou de représenter des scènes de viols ou de sadomasochisme. Mais ce n’est pas tout : dans cette Amérique bien pensante, qui sortait à peine du maccarthysme et baignait en pleine guerre froide, le CCA spécifiait également qu’il était interdit de représenter des policiers, des juges, des représentants du gouvernement et toute institution officielle de telle manière que cela porterait atteinte à leur image.

 

x-men sword of the braddocksalexgarnerSi ces certaines de ces dispositions peuvent nous faire sourire, elles furent admises par tous à l’époque, certains distributeurs allant même jusqu’à refuser de vendre les comics qui ne respectaient pas les préceptes du CCA. Car, bien sûr, le CMAA qui les avait édictés n’avait aucune autorité législative ou coercitive, et ses propositions n’eurent d’effet que parce que tous les éditeurs main stream avaient décidé de les adopter, afin de montrer leur bonne volonté. Il faut en effet se souvenir que, dans les années 50, c’étaient essentiellement les parents qui achetaient eux-mêmes les comics à leurs enfants...

 

Bien entendu, ces préceptes ne pouvaient rester en l’état avec l’évolution sociale et culturelle que connurent les sociétés occidentales dans les années 60. A cette période, apparurent les premiers comics underground, et, en 1971, le CCA subit une révision en règle, qui le rendit déjà moins contraignant. Par exemple, il fut désormais admis que les vampires, les loups garous et les goules pouvaient apparaître dans une histoire, si celle-ci s’inscrivait dans une tradition littéraire où ces personnages existent. Mais, ce faisant, les zombis restaient interdits, car, justement, contrairement aux précédents, qui apparaissent dans la littérature gothique de l’époque romantique, ou encore dans la littérature populaire fantastique des 19e et 20e siècles, les zombis étaient absents de la tradition culturelle occidentale. Cela explique pourquoi Marvel, au milieu des années 70, inventa un nouveau type de personnages, des morts vivants d’origine haïtienne, qui agissaient sur ordre, par manipulation mentale, et qui s’appelaient des… « zuvembies ». L’honneur était sauf : ce n’était pas des zombis !

 

Venus (by Gonzalo Ordonez)Le CCA subit ainsi de plus en plus souvent d’incartades de la part des éditeurs, et les préceptes qu’il continuait d’imposer et, à l’occasion, de rappeler à tel ou tel, se firent de plus en plus tolérants. Ainsi, en 1989, par exemple, il fut officiellement admis que des personnages puissent être homosexuels, tant qu’une relation de ce type n’était pas représentée avec un contenu sexuel explicite.

 

En 2001, le CCA ayant perdu avec le temps une bonne partie de sa crédibilité et de sa pertinence, Marvel décida de se fixer ses propres normes. Cette décision fut concomitante avec le lancement de la collection « MAX », et ceci pourrait donc bien expliquer cela. La classification que suit Marvel, et qui s’appelle le Marvel Rating System, a connu plusieurs refontes depuis, mais, à ce jour, il se présente ainsi, avec cinq catégories distinctes :

1. « ALL AGES » : convient pour tous les âges, comme son nom l’indique ;

2. « A » : à partir de neuf ans ;

3. « T+ » : à partir de treize ans ;

4. « PARENTAL ADVISORY » : à partir de quinze ans, sachant que les images sont plus nombreuses et plus explicites que pour la catégorie « T+ » ;

5. « MAX: EXPLICIT CONTENT » : à partir de dix-huit ans, avec cette fois-ci des scènes de violence qui n’exclut pas la torture et le sadisme, et des scènes de sexe qui peuvent être explicites. En théorie, ces titres ne doivent pas figurer sur les étalages, en libre accès, ni être vendus aux mineurs.

 

o363%20tb35%20Girl%20in%20GoldEt le Punisher, comme on le sait, inaugura la collection « MAX », et continue de l’enrichir régulièrement.

 

Voilà comment est né le Marvel Rating System, qui est en bonne partie inspiré de la classification des films telle qu’elle se pratique aux Etats-Unis. Par ce système, l’éditeur veut bien entendu se mettre à l’abri de toute attaque qui se ferait contre l’une de ses publications sur un quelconque manquement à sa responsabilité morale, ce qui serait préjudiciable à son image. Mais il cherche surtout à informer purement et simplement son lecteur, un peu sur le modèle des mangas où, pour de tout autres raisons, chaque titre appartient à un genre qui le prédestine à un certain public, du jeune garçon de sept ou huit ans à la femme d’âge mûr, en passant par le jeune cadre dynamique et l’amateur de pornographie gay. Aussi, peut-on considérer que, en un demi-siècle, depuis les premiers préceptes du CCA, nous avons plutôt fait des progrès, à la fois en matière d’information du consommateur, et de liberté d’expression…

 

Article lié : L’érotisme dans les comics : Cachez ce sein que je ne saurais voir…

 

Rejoignez la communauté marvelouscomics sur Facebook !

Publié dans Analyses

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article