Parler des comics (1) : qu’est-ce qu’un dessin stylisé ?
Nous avons tous nos dessinateurs préférés, mais, bien souvent, dès qu’il convient d’en parler, de chercher à exprimer pourquoi nous aimons tel ou tel style de dessin, cela devient beaucoup plus difficile, faute de disposer des notions adéquates. C'est pourquoi, dans une rubrique qui sera aussi irrégulière dans son rythme de parution qu’imprévisible par les thèmes qu’elle abordera, marvelouscomics vous proposera des petites mises au point, toujours utiles pour discuter entre amis ou sur les forums.
Notre premier papier tentera de répondre à la question de savoir ce qu’est un dessin stylisé. Un dessin stylisé n’est pas un dessin qui a du style. Un dessin, quel qu’il soit, est une représentation. L’artiste qui le réalise peut opter pour une représentation abstraite, tel que cela se pratique par exemple sous l’étiquette de peinture abstraite, ou bien, au contraire, choisir une représentation figurative. Un dessin figuratif est un dessin qui représente un objet de telle sorte qu’il soit directement interprétable par le lecteur comme étant une image de cet objet – et l’art figuratif a bien entendu largement prédominé dans l'histoire de la peinture. La bande dessinée, pour sa part, est toujours figurative, car on imagine mal comment il serait possible de raconter une histoire en recourant à un dessin abstrait – même si des peintres s’y sont essayés parfois. Mais il y a plusieurs moyens de « figurer », c’est-à-dire de représenter un objet de telle manière à ce qu’il soit interprété comme étant une image de cet objet même qu’il représente.
Sur l’illustration ci-contre, Greg Land a représenté Emma Frost de manière assurément figurative, mais on perçoit bien qu’il s’agit d’un dessin. Le contour du corps est entouré d’un trait d’encre relativement appuyé, qui le détache par rapport aux images qui constitue l’arrière-plan, et des traits plus fins viennent souligner ses lèvres, plusieurs mèches de cheveux, et marquer par des croisillons les ombres sur la peau, aux coudes, sur le ventre et sur les cuisses. Et il en va de même du drap dans lequel la jeune femme est enveloppée. Par ailleurs, les couleurs ne sont pas réalistes, même si elles tendent à imiter la couleur de la peau et des cheveux de la véritable Emma Frost (qui existe bel et bien, et vit sur la Terre 616, comme chacun sait).
Par comparaison, le dessin de Greg Horn ci-contre procure une impression assez différente. Tout en percevant une fois de plus qu’il s’agit bien d’un dessin, nous avons le sentiment que l’artiste a essayé de s’approcher au plus près du rendu visuel que procurerait une photographie. Pour ce faire, Horn ne recourt pas à l’encrage, de façon à supprimer ainsi l’un des procédés qui, par sa nature même, signale la représentation comme étant un dessin. Il emploie aussi des couleurs qui ont l’air plus « naturelles », à la fois par les tonalités qui sont les leurs (il suffit de comparer la différence de rendu entre la peau d’Emma « vue » par Land et la peau d’Emma « vue » par Horn), mais aussi par le traitement de la luminosité sur les différentes textures : les nuances de blond des cheveux d’Emma sont beaucoup plus travaillés dans cette seconde illustration que dans celle de Land, et elles contribuent en bonne partie à procurer l’impression qu’il s’agit d’une « vraie » chevelure. Enfin, les traits du visage, en étant plus neutres, moins caricaturaux, parachèvent l’effet. A cause de sa volonté manifeste d’imiter une photographie – et donc, d’approcher de plus près la représentation du réel –, un tel style de dessin est appelé hyperréaliste.
On doit le troisième portrait d’Emma reproduit ci-contre à Chris Bachalo. Celui-ci diffère du dessin de Greg Land, le premier qui a été examiné, mais dans une direction inverse à celle prise par Greg Horn. Loin de chercher à approcher le rendu d’une photographie, un tel dessin accentue en quelque sorte la dimension proprement « dessinée ». Les formes ne sont plus toujours réalistes, comme le montrent par exemple les jambes excessivement longilignes de la jeune femme, ou encore la bouche, très fine et très large, et le nez, réduit à deux points pour les narines, et un léger trait de crayon juste au-dessus, pour marquer le bout du nez. La silhouette est à nouveau soulignée d’un trait d’encre plutôt appuyé ; et de nombreux tracés, plus ou moins fins, viennent figurer les plis et les détails du costume. S'agissant de la chevelure, les mèches ne sont pas dessinées, comme elles l’étaient chez Greg Land, et seuls des traits verticaux viennent suggérer l’épaisseur des cheveux, et leur mouvement retombant. Cette simplicité se retrouve, de manière tout à fait cohérente, dans le choix des couleurs, lesquelles se limitent à une ou deux nuances de blanc, de gris et de jaune.
Déformation anatomique, détails croqués par quelques coups de crayon… Si le dessin reste figuratif, il n’est plus tellement réaliste, comme l’étaient, chacun à leur façon, les deux précédents : on dit alors qu’il est stylisé.
Entre le dessin hyperéaliste et le dessin stylisé, il existe toutes sortes de nuances, ce qui fait qu'un dessin sera plus ou moins « réaliste » ou plus ou moins « stylisé », selon les procédés employés.
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