L’art de Mike Deodato : Sur quelques planches de « L’Homme-molécule »

Publié le par megaglob

Dark Reign 12 Dark Avengers couvertureLe « Dark Reign » de ce mois regroupe deux chapitres de « L’Homme-molécule », parus initialement dans les n°11 et 12 de « Dark Avengers », en janvier et février 2010. Ce récit, scénarisé par Brian M. Bendis, est assez linéaire pour ce qui est de sa trame narrative : un super-vilain est repéré, Norman Osborn et les Vengeurs Noirs l’attaquent, ils sont sérieusement mis en difficulté, avant que Sentry ne l’emporte au final – et contre toute attente – sur leur adversaire. On reconnaît là un schéma usuel des récits d’action, qui se retrouve aussi bien dans les comics que dans les films. Et qui pâtit de ce que le scénariste n’a pas même pris la peine de justifier ce retour annoncé de l’Homme-molécule autrement que par le bon vouloir qu’il prête au personnage…

 

Sans doute est-ce pour excuser ces facilités que Bendis a fait en sorte que des figures majeures, comme Osborn ou Sentry, connaissent dans cette aventure des évolutions décisives, qui vont orienter leur comportement dans les semaines à venir. Et qu’il lève un voile sur le passé de Victoria Hand, sur l’évocation duquel s’ouvre le quatrième chapitre.

 

Dark Reign 12 planche 1Or, ce flash-back, qui remonte de trois années dans le passé, est admirablement servi par Mike Deodato, sur le style duquel je m’étais déjà arrêté dans ma chronique consacrée au précédent épisode de « L’Homme-molécule », publié dans « Dark Reign » n°11, en août 2010. Les deux premières pages du chapitre, reproduites ci-contre et ci-dessous, s’ouvrent sur un combat de boxe entre Victoria Hand et sa petite amie du moment. Celle qui n’est encore qu’une comptable du S.H.I.E.L.D. veut écrire à Nick Fury pour critiquer la manière dont il gère la sûreté de l’Etat, ce que son amante lui déconseille de faire. Peu à peu, la discussion entre les deux jeunes femmes fait apparaître leurs divergences de vue, le combat physique qu’elles se livrent reflétant leur désaccord, et la tension qui monte entre elles deux.

 

Ces planches se caractérisent par une recherche évidente dans la mise en page. Sur la première, ci-contre, le ring impose à l’œil un large quadrilatère central, que soulignent les cordes tendues tout autour. Ce motif géométrique est repris par le sol en contrebas, où s’entraînent les hommes, les pans de murs, les ouvertures, ainsi que les ombres portées des fenêtres et des poutres. Mais il contamine également le découpage, puisque les cases qui prolongent le dialogue entre Victoria et son amie épousent les lignes de fuite du décor, aussi bien verticalement (à gauche, avec le gros plan sur la jeune femme, qui sert de transition) qu’horizontalement, avec les quatre images du bas.

 

Dark Reign 12 planche 2Sur la deuxième planche (voir ci-contre), on retrouve une disposition globale similaire avec une première illustration, qui couvre également une demi-page, puis quatre cases, placées sur le même plan que celui dessiné au-dessus par les cordes du ring. Toutefois, l’impression générale n’est plus la même : l’aspect cadré et rationnel de la première planche s’estompe pour laisser place à un sentiment plus confus, que la perspective oblique qui oriente toute la page ne fait qu’accentuer, avec ses lignes divergentes qui déstructurent l’ensemble et qui conduisent les deux cases du bas à être tronquées aux angles, comme si elles débordaient de la page.

 

Ce changement dans la composition, auquel s’ajoute la multiplication des ombres et des lignes transversales, qui ne sont pas sans évoquer un emprisonnement tout symbolique des personnages, accompagne la montée de la tension dramatique, et l’expression de plus en plus explicite du désaccord entre les deux jeunes femmes.

 

Les deux pages suivantes, reproduites ci-dessous, sont toujours nimbées dans ce halo bleuté qui démarque ces planches de celles qui suivront, où l’action renouera avec le temps présent, mais dont la relative froideur contribue aussi à poser une atmosphère quelque peu oppressante.

 

Dark Reign 12 planches 3 et 4 DeodatoCes planches reposent elles aussi sur un art achevé de la composition, avec d’un côté une scène où Nick Fury, sans plus y penser, envoie promener d’une pichenette la lettre que vient de lui adresser Victoria, et demande à ce que des sanctions soient prises contre elle. La toute-puissance du personnage est traduite par l’image de fond, qui représente l’héliporteur du S.H.I.EL.D., encadré de plusieurs avions qui, par leur trajectoire, dessinent des lignes de fuite obliques, comme les cordes du ring sur la page précédente. Et le dialogue est porté par des cases en forme de quadrilatères, dont la taille va se rétrécissant jusqu'à l'avant-dernière, en même temps que le cadrage se resserre sur Nick Fury. Seule la dernière image rompt avec le procédé, en sortant les personnages du cadre, et en élargissant le point de vue.

 

Dark Reign 12 Victoria HandL’évocation de cet épisode passé du futur bras-droit de Norman Osborn s’achève, sur la quatrième planche, par une scène de rupture entre la jeune femme et son amie. On y retrouve les mêmes procédés de composition, mais avec un rendu global beaucoup plus angoissant, grâce à la vue plongeante sur l’appartement de Victoria, qui fait ressortir toutes les formes géométriques du décor, et affute tous les angles. Les cases déroulent une suite de champs et contre-champs, avec un resserrement de focale, puisque l’on passe du plan taille au plan poitrine et, enfin, sur l’avant-dernière image, au gros plan, avant la sortie fracassante de l’amante, que ponctue un retour à un cadrage plus large – comme sur la planche précédente. La tension dramatique atteint ainsi son maximum d’intensité, juste avant ce dénouement malheureux.

 

Il resterait à parler des qualités graphiques intrinsèques du dessin de Deodato, mais ce sera pour une autre fois !

 

Article lié : Dark Reign 11 : « L’homme-molécule » de Mike Deodato

 

Pour être informé des articles à venir, inscrivez-vous à la Newsletter.

Publié dans Analyses

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
<br /> Je ne suis pas toujours fan du travail de Deodato mais là, je dois admettre que c'est admirablement bien fait<br /> Tout comme ton décryptage<br /> Bravo, vraiment !<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Je pense qu'il ne faut jamais être fan, si "fan" veut dire manquer de lucidité <br /> <br /> <br /> Deodato fait souvent du bon travail, et de l'excellent quand il veut - ou quand une scène l'inspire tout particulièrement.<br /> <br /> <br /> Mais il lui arrive aussi de se faciliter un peu les choses : ses jeux sur les ombres et les silhouettes peuvent devenir un peu gratuits, ou moins utiles en regard du contenu narratif. C'est le<br /> cas, me semble-t-il, de "sa" nouvelle série, "Secret Avengers" : à côté de pages excellentes, il y a des planches que je trouve un peu plus faibles, parce qu'il recourt de manière un<br /> peu trop systématique à de tels effets, surtout au début. On y "sent" un peu le procédé pour le procédé.<br /> <br /> <br /> <br />