Interview de Jérémy Manesse, traducteur chez Panini

Publié le par megaglob

Jeremy ManesseTous ceux et toutes celles qui fréquentent l’univers Marvel connaissent Jérémy Manesse, traducteur de nombreux comics, et responsable de la page Facebook et de la Newsletter des éditions Panini.

 

Il a accepté de se livrer au jeu des questions-réponses pour marvelouscomics, une occasion pour nous de mieux comprendre son travail, et d'entrevoir comment fonctionne le monde de l’édition.

 

marvelouscomics : Depuis quand êtes-vous amateur de comics ?

 

Jérémy Manesse : Mon premier comic, c’est un recueil de « Special Strange » à l’aéroport, vers 85, je devais avoir dix ans, quelque chose comme ça. C’était Claremont et Byrne sur les X-Men. C’est là que j’ai mis le pied dedans et que j’ai été englouti. Avant, j’étais plutôt Pif et Mickey.

 

Comment êtes-vous devenu traducteur de comics ?

 

Special Strange 1985Je suis un autodidacte de la traduction, je n’ai pas fait d’études pour ça. Mais j’ai eu un excellent premier prof d’anglais, un magistral dernier prof d’anglais (en classe de Math Sup, curieusement, comme quoi…) et j’ai toujours beaucoup lu en anglais. Je suis par ailleurs auteur de pièces de théâtre, ce qui aide énormément. Ça fait une grosse dizaine d’années que je bosse pour Panini, mais seulement cinq ans que je fais des traductions (il a fallu l’arrivée de Wizard, puis de DC et de Vertigo pour que je puisse me faire une place).

 

En ce qui concerne votre collaboration avec Panini, les œuvres à traduire vous sont-elles imposées, ou bien choisissez-vous les textes ?

 

Rien n’est jamais imposé, on peut toujours refuser une traduction… ce qui ne m’est quasiment jamais arrivé, à part une ou deux fois où j’avais vraiment trop de boulot. Par ailleurs, étant aussi consultant pour Panini, et m’intéressant aux comics d’une manière générale, il m’arrive régulièrement de dire « ah, ça, j’aimerais bien le traduire ». En général, je suis exaucé.

 

Preacher couvertureDans quelles conditions travaillez-vous ? Quels sont, par exemple, les délais pour traduire un récit complet, de 80 à 120 pages ?

 

Ça dépend. Parfois, je reçois les BDs à traduire avec une avance très confortable, parfois ça doit se faire dans des délais absolument impossibles. Les deux arrivent. Mais, en général, on travaille quand même à flux tendus : je ne peux pas toujours profiter d’avoir reçu certaines BDs en avance… tout simplement parce que je suis occupé par d’autres, plus urgentes ! J’essaie de planifier au mieux mon emploi du temps pour éviter ce genre « d’embouteillages ». Le plus souvent, quand je suis à la bourre, c’est de ma faute, parce que j’ai laissé filer le temps en voyant que j’avais de l’avance… et je me retrouve en retard. À côté de ça, je travaille assez vite, et il m’arrive de faire de très grosses journées ou nuits, à dix ou douze heures d’affilée. Là, en ce moment, je suis plutôt en avance, par exemple, ce qui me permet de répondre à des interviews, histoire d’être de nouveau en retard. ;)

 

100 bulletsDevez-vous suivre un cahier des charges quant à la langue et au style ?

 

Il n’y a rien d’officiel, et d’une manière générale, on me fait confiance. On fait juste gaffe aux gros mots. Personnellement, je distingue les revues kiosque des revues librairie (et bien sûr, Marvel et DC de Vertigo). Par exemple, j’utiliserai des « m£$%e » et des « p£$%in » en kiosque les rares fois où Bendis en utilise. Pour « Preacher », évidemment, j’enlèverai les sigles. Le seul petit désaccord que j’ai de temps en temps avec la rédaction, c’est concernant les blasphèmes. Je suis toujours surpris qu’on considère « bon dieu » comme un blasphème, par exemple, mais j’évite d’utiliser l’expression pour le kiosque, je pars sur « bon sang ». C’est arrivé deux, trois fois qu’on me demande d’adoucir un juron, même dans du Vertigo. Je n’aime pas trop ça, mais c’est resté très exceptionnel, je n’ai jamais eu l’impression de censurer le texte d’origine. On a réussi à s’entendre, par exemple, sur le fait que « Preacher » était intouchable de ce côté-là, parce que « Preacher » sans les blasphèmes, ben…

 

Lorsque vous traduisez un comics, quelles sont les règles que vous vous donnez ? Qu’est-ce que vous essayez de restituer avant tout ?

 

Le sens, bien sûr. L’atmosphère, la voix des personnages, le rythme. L’humour. Je n’hésite pas à reformuler une phrase si je la trouve plus percutante que la traduction littérale, même si elle est grammaticalement correcte. J’essaie que les différents personnages aient des voix différentes. Oui, je suis content si on peut deviner qui parle, même si le personnage est hors-champ.

 

Secret WarriorsCertains comics sont-ils plus difficiles que d’autres à traduire ?

 

Bien sûr. Les comics de super-héros sont d’une manière générale plus faciles à traduire, d’autant que je suis un passionné et que je connais bien l’univers. Là où il faudra à un autre traducteur vingt minutes sur Internet pour comprendre une référence, je la sors de ma tête en vingt secondes, et je suis sûr de ne pas faire un contre-sens. Pour des trucs comme « Final Crisis », ça m’a sauvé la vie, par exemple. Le plus difficile pour moi, c’est peut-être la narration poétique, je suis plus à mon aise dans les dialogues (sans doute encore une fois parce que je suis auteur de théâtre). Je m’amuse moins sur les épisodes chargés en narration, donc. Et puis pour ce qui est des trucs vraiment complexes, il y a évidemment « Promethea », j’ai parfois passé une journée entière sur une page. Je pense aussi à certains passages des « Hellblazer » en collection Cult, ou de « Starman ». À l’inverse, je m’amuse beaucoup et je vais assez vite avec des trucs dont on pense souvent qu’ils sont les plus durs à traduire, genre « 100 Bullets ». Passée la barrière de l’argot, c’est surtout des jeux de mots à adapter, et ça, ça m’éclate, même quand je rame pour trouver. Et « 100 Bullets » a l’avantage d’avoir, genre, cinq bulles par page.

 

Marvel Heroes couvertureEn tant que consultant, dans quelle mesure influencez-vous les choix éditoriaux de Panini ?

 

Je fais partie des gens à qui on demande leur avis sur les plannings, et qu’on écoute parfois. Je reçois les plannings avant tout le monde, je dis les trucs qui me semblent super, bien, ou un peu nazes. Je fais des propositions. Et ensuite la rédaction avise. L’idée est de profiter de mon statut de lecteur français de longue date (une grande partie de la rédaction opère depuis l’Italie), de ma « connaissance du marché », et du contact privilégié que j’ai avec les lecteurs, à travers les forums et la page Facebook. Ce job est parfois allé un peu plus loin, lors de l’acquisition des licences DC et Vertigo, où l’on m’a demandé de lancer des idées sur ce qui pourrait être fait, ou lors des quelques fois où j’ai bataillé pour qu’un projet se réalise, dont je pensais qu’il aurait été très dommageable de passer à côté. Finir « Promethea », par exemple. Il y a aussi quelques idées dans les plannings dont je suis clairement à l’origine, mais je ne vais pas vous faire le coup de la liste et du « c’est moi qui l’ai fait ! ». La différence, c’est qu’avant il fallait trois ou quatre ans pour qu’une idée que je lance fasse son chemin, maintenant ça peut se faire dans l’année.

 

Siège MarvelVous avez aussi rédigé des secondes et des troisièmes de couverture pour Panini. Quelles sont les contraintes que vous fixait l’éditeur ? Qu’essayiez-vous de faire passer auprès du public français ?

 

Je l’ai fait, j’ai aussi écrit le courrier des lecteurs à une époque… Mais je ne le fais plus. On tourne vite en rond dans les éditos : j’écrivais celui de « Wolverine », et on a beau essayer de se renouveler, de tirer des trucs intéressants des épisodes, en faisant des topos sur des personnages qu’on n’a pas vus depuis longtemps… On en arrive souvent à ne plus savoir quoi raconter et à faire de l’auto-promo, ou du teasing. C’est assez vite lassant, d’autant que c’est un travail que je fais aussi sur Internet, sur la page Facebook de Panini. Sorti de là, la rédaction me faisait entièrement confiance quant au contenu de mes éditos, je ne suis même pas sûr qu’ils étaient vérifiés. Je crois même qu’une ou deux fois je suis un peu parti en vrille, et personne n’a réagi.

 

Parmi les comics Marvel que vous avez traduits, lesquels ont votre préférence ?

 

En ce moment, c’est « Secret Warriors », j’adore cette série. D’une manière générale, mes séries Marvel sont celles que je traduis avec le plus de facilité. J’aime beaucoup le contenu de « Marvel Heroes », « ma » revue, et c’est l’essentiel de ce que je traduis pour Marvel.

 

Quelles sont vos prochaines traductions à paraître chez Panini ?

 

Toujours « Marvel Heroes » et « Dark Reign » en mensuel (« Dark Reign » s’arrêtant en janvier). Et je viens de finir de traduire « Siège », le prochain crossover Marvel qui commence en octobre. Toutes les séries que je traduis pour DC ou Vertigo se poursuivent en 2011, a priori… et pour ce qui est des nouveautés, le planning 2011 est en cours de validation. Il y a certains albums qui me font de l’œil, mais j’attends les confirmations !

 

Lien externe : Le blog de Jérémy Manesse

 

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